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Uchronie
"Le nez de Cléopâtre, s'il eut été plus court, toute la face de la Terre en aurait été changée" est une pensée célèbre que l'on attribue à Pascal (1623-1662). Cette phrase porte en elle les prémisses de ce que l'on appellera bien plus tard l'Uchronie (en 1857, Charles Renouvier fera paraître Uchronie).
A l'occasion du challenge Winter Time Travel lancé par Lhisbei sur son blog, il me semblait intéressant de faire un point sur ce qu'on entendait exactement par Uchronie. Référence évidente à l'Utopie (littéralement, le lieu qui n'existe pas), on pourrait donner à ce terme la définition suivante : le temps qui n'existe pas. Plus précisément, l'Histoire telle qu'elle ne s'est pas déroulée et qu'un écrivain de Science-Fiction réinvente.
De SF ? Oui, car l'Uchronie est bien une des nombreuses branches de la SF. C'est vrai qu'on a tendance habituellement à situer les récits de SF dans un futur plus ou moins proche, et parfois - plus rarement -, dans le présent. Et le questionnement que pose la SF spéculative ou l'anticipation quant au devenir de l'Humanité dans le futur reste tout à fait valable dans le passé.
"Et si Napoléon n'avait pas perdu à Waterloo... ?"
"Et si Hitler était parvenu à prendre Stalingrad... ?"
"Et si Alexandre le Grand n'avait pas tranché le noeud gordien... ?"
"Et si Jules César n'avait pas franchi le Rubicond... ?"
C'est à partir de cet instant (il serait totalement vain de croire qu'il s'agisse d'un instant précis et non d'une période plus ou moins longue), que l'on appelle point de divergence, que l'Histoire bascule, devenant alors un objet littéraire. A charge alors à l'écrivain de développer tout son talent pour nous offrir une Histoire alternative crédible. C'est une toute autre manière de voir comment les hommes vivent l'Histoire, et ce qu'ils en font.
Lors d'une conférence sur l'Uchronie que j'ai eu le plaisir d'écouter en podcast, les intervenants regrettaient que les limites du genre tenaient dans le fait que l'on s'intéresse de moins en moins à l'Histoire. Or, sans la connaissance précise de l'Histoire officielle, comment apprécier celle, alternative, que l'écrivain nous propose ? Quel est l'intérêt de lire une telle histoire si on n'a pas les bases de la véritable ? De quelle manière peut-on comprendre les enjeux du récit qui nous est fait ?
Voilà, beaucoup de questions qui restent en suspens pour un sujet tout à fait passionnant.
Dès le 21 décembre, on aura l'occasion de reparler d'Uchronie...
A.C. de Haenne
A noter que Bifrost avait consacré une bonne partie de son numéro 34 à l'Uchronie. Et pour approfondir le sujet, vous pouvez aller faire un tour sur le site PocheSF, qui propose un très bon guide lecture.
A noter également une chronique humoristique de Vincent Roca (au Fou du Roi, sur France Inter) consacrée, tenez-vous bien, à l'Uchronie :
Tags : uchronie, histoire, moins, ecrivain, point
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Commentaires
2Les-murmuresJeudi 9 Décembre 2010 à 21:07Oui, en plus de bien connaitre l'histoire pour que le lecteur puisse apprécier la portée des divergences, je pense qu'il est aussi crucial que l'auteur lui même la connaisse très bien.
Ce que je reproche par contre, c'est que c'est toujours l'histoire au sens événement qui est détourné, mais pas les productions socioculturelles : et si Karl Marx n'avait pas écrit, ou écrit différemment son oeuvre ? Si Auguste Comte n'avait pas développé le positivisme ? Si Freud n'avait pas "découvert" l'inconscient etc. Ce sont autant de choses qui ont des impacts sur les sociétés (et donc la façon dont les gens perçoivent leur société au moment où ils la vivent).
la video me confirme une chose : je ne supporte pas l'émission... je trouve que cette chronique ne vole pas haut mis à part pour l'exercice de style... :(
Désolé que tu sois déçue...
Tu concéderas tout de même qu'on ne parle pas si souvent que cela d'Uchronie à une heure de grande écoute sur une radio nationale. Ce qui m'a un peu surpris ce midi en l'entendant, c'est que sa chronique commençait exactement comme l'article que j'ai publié hier. Bon, pas de paranoïa de ma part, juste ravi de cette concordance des pensées... Et puis la phrase de Pascal est connue.
A.C.
5BettyfVendredi 10 Décembre 2010 à 20:32Moi j'adore la chronique de Vincent Roca, et je trouve qu'elle vaut en effet à la fois pour l'exercice de style et pour son esprit, mais bon, chacun ses goûts...
Sinon, je trouve la coïncidence assez troublante aussi, j'ai aussi été très surprise en entendant cette chronique ce midi qui commençait exactement comme ton article A.C.: trop fort!!
7scifictifVendredi 10 Décembre 2010 à 21:59@ Les-murmures : pour rebondir sur ton post, je citerai deux extraits d'un article passionnant sur l'uchronie (signé Stéphane Nicot et Eric Vial et paru dans Univers 1988).
"l'uchronie reflète avec plus ou moins de bonheur deux conceptions de l'Histoire : celle, traditionnelle, qui l'a nourrie et sur laquelle elle s'appuie souvent pour créer un univers, et celle, influencée par les conceptions plus modernes des historiens héritiers de Braudel et de Marx, directement ou indirectement, qui insistent sur les phénomènes de "longue durée", les "forces profondes", ou les "infrastructures" qui restituent toute sa complexité à la causalité historique et qui rendent fort difficile de faire dériver d'un événement isolé une modification durable. Il reste à écrire (sans ennuyer et faire oeuvre de théoricien !) une uchronie qui échapperait vraiment à la contrainte de l'événement initial et qui, de bout en bout, ferait toute leur part à la longue durée, aux forces profondes, aux infrastructures. Qui échapperait, in fine, à la grandeur et à la misère de l'événement fondateur."
"dans "De peur que les ténèbres", Sprague de Camp a recours à l'homme providentiel (un voyageur temporel). Mais, une fois l'artifice acquis, la reflexion historique se déploie de façon moderne : le héros modifie quelques détails concrets (mode de calcul comptable, presse, technique militaire, communication) qui sont à la fois acceptables par la Rome du VIème siècle et suffisamment décisifs pour peser sur le cours des choses"
Merci scifictif pour cette élévation du débat. Tes exemples sont tout à fait éclairants. Pour à mon tour rebondir sur ce que disait Les murmures, je comprends tout à fait son regret qu'on ne prenne souvent que l'évènement pour le détourner. C'est peut-être parce que c'est plus simple. A écrire, et à comprendre pour le lecteur.
A.C.
9Les-murmuresVendredi 10 Décembre 2010 à 23:06Merci Scifictif. C'est très intéressant. Est ce que par hasard tu aurais un pdf de cet article ? J'aimerais bien y jeter un oeil plus attentif. En fait, je pense que ton intuition est juste A.C : pour apprécier un changement uchronique, il faut savoir situer précisément où se trouve ce changement (pour reprendre tes exemples, chacun a entendu parler de la 2ème GM, de Jules César etc.). Tout le monde n'a pas lu Comte etc. Mais ça, c'est aussi un caprice de riche...C'est parfois aussi avec une invention, une avancée technologique, pas toujours avec un évènement historique que l'uchronie fonctionne.
Par exemple dans La Vague de Corinne Guitteaud(clic) c'est l'introduction du cheval en Amérique en -10.000 qui bouleverse notre histoire.@ Les murmures : après, on peut faire une uchronie très poussée, mais elle risque de ne pas intéresser les lecteurs car, à part une infime partie plus cultivée que les autres, la plupart ne connaît de l'Histoire que les faits marquants. Bien sûr, les évènements historiques comme la chute de l'empire romain, pour ne citer qu'un exemple, ne s'est pas déroulé en un seul jour, ou même une semaine, mais plutôt sur une plus ou moins longue période. Mais pour situer un récit uchronique, on ne prend en compte très souvent qu'un moment historique pour situer le point de divergence. Pourtant, comme vous le dites, l'Histoire n'est pas exclusivement faite d'évènements, de batailles, gagnées ou perdues. Cependant, l'esprit des gens (peut-être peut-on appeler cela l'inconscient collectif) est marqué de ces batailles plus que des éléments structurels et socio-culturelles qui fondent vraiment les sociétés.
@ Ferocias : merci pour le lien. Oui, la domestication du cheval par les peuples précolombiens aurait pu changer le rapport de forces.
A.C.
Je vais jeter un oeil sur le site de Poche SF pour avoir des idées de lecture en plus! Merci!
Oui, j'ai trouvé leur guide de lecture très complet, et me suis même rendu compte que je possédais sans le savoir quelques livres qui traitaient d'uchronie.
A.C.
14scifictifSamedi 11 Décembre 2010 à 18:41@ Les-murmures : je n'avais pas pensé à regarder sur le net, mais effectivement, on le trouve cet article. C'est ici : http://www.noosfere.com/icarus/articles/article.asp?numarticle=24.
@ A.C. de Haenne : peux-tu nous dire d'où provient le dessin que tu as placé sur la droite de ton article? (j'aime bien les contrastes, la perspective et les interrogations que cette image suscite).
Le dessin vient, visiblement, d'une BD, New Byzance.
Tu peux avoir plus d'infos, ici : Les Uchronie (s) de Corbeyran - (Glénat - 23 janvier 2008) - Le Monde de YO - Le cyber-espace de tous les imaginaires - Yozone
A.C.
16scifictifSamedi 11 Décembre 2010 à 19:4617Les-murmuresSamedi 11 Décembre 2010 à 19:5219Les-murmuresDimanche 12 Décembre 2010 à 12:45Pour un faux (hahaha, info <=> un faux haha...), dans Mauvais Genre d'hier, il est question brièvement d'uchronie.
Oui, ce n'est pas étonnant puisque c'est une spéciale SF (à la Vilette) et que l'Uchronie en est un sous-genre. Je l'ai vaguement écoutée samedi soir, je l'écoute plus attentivement demain au boulot.
A.C.
21BoozMercredi 15 Décembre 2010 à 23:19Cet article donne envie de lire la suite. L'uchronie est un genre que je connais assez mal et le lien vers PocheSF est une aubaine pour moi cependant je vois déjà venir les éventuelles critiques, comme tu le mentionnes, il faut une connaissance exacerbée de l'histoire pour rester crédible quant aux réactions des protagonistes. Bref j'attends la suite avec impatience !
Merci pour cette gentille appréciation de l'article. Plus que six jours avant l'hiver et le début du challenge...
A.C.
en même temps, ça peut aussi être ça qui donne envie de vérifier l'histoire officielle et de creuser un peu pour mieux cerner les modifications du réel
Et si le roman est bien fait, la méconnaissance de l'histoire officielle d'origine n'empêche pas du tout de l'apprécier, même si évidemment on rate une certaine richesse, mais ça ne ferme pas pour autant les portes de ce genre aux non-historiens...Et si ma tante en avait on l'appelerai mon oncle Apres cette soudaine élévation du débat je redeviens serieux, il y trois chose qui me passionnent en littérature : le steampunk, le gaslight fantasy et... les uchronies. Depuis qu j'ai créé mon blog je souhaite écrire un article la dessus et j'espere que je vais y arriver. Sinon le livre que tu as mis en illustration de ton article '"l'histoire revisitée" est tres bien fait et didactique pour comprendre ce genre passionnant et tres diversifié.
@ Tortoise (avec beaucoup de retard...) : Tout à fait d'accord avec toi !
@ Cagliostro : Les trois genres et sous-genres que tu cites sont très proches dans l'approche de transformation de l'Histoire. En ce qui concerne l'illustration, j'ai pris pour habitude d'essayer de mettre ce que j'ai lu. En l'occurence, là, ce n'est pas le cas, mais Henriet est une telle référence que cela me semblait incontournable.
A.C.
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Vivement le 21 donc :)